Marie, à celle fin que le siecle à venir
De nos jeunes amours se puisse souvenir,
Et que vostre beauty, que j’ay long temps aimée
Ne se perde au tombeau, par les ans consumée,
Sans laisser quelque marque après elle de soy,
Je vous consacre icy le plus gaillard de moy,
L’esprit de mon esprit, qui vous fera revivre
Ou long temps, ou jamais, par l’âge de ce livre.
Ceux qui liront les vers que j’ay chantez pour vous
D’un stile qui varie entre l’aigre et le doux,
Selon les passions que vous m’avez données,
Vous tiendront pour déesse ; et tant plus les années
En volant s’enfuiront, et plus vostre beauté
Contre l’âge croistra, vieille en sa nouveauté.
O ma belle Angevine ! ô ma douce Marie !
Mon œil, mon cœur, mon sang, mon esprit et ma vie,
Dont la vertu me monstre un droit chemin aux cieux !
Je reçoy tant de bien quand je baise vos yeux,
Quand je languis dessus et quand je les regarde,
Que, sans une frayeur qui la main me retarde,
Je me serois occis de dueil que je ne peux
Vous monstrer par effect le bien que je vous veux.
Or cela que je puis, pour vous je le veux faire :
Je veux, en vous chantant, vos louanges parfaire,
Et ne sentir jamais mon labeur engourdy
Que tout l’ouvrage entier pour vous ne soit ourdy.
Si j’estois un grand roy, pour eternel exemple
De fidelle amitié, je bastirois un temple
Dessus le bord de Loire, et ce temple auroit nom
Le temple de Ronsard et de sa Marion.
De marbre parien seroit vostre effigie,
Vostre robe seroit à plein fons eslargie
De plis recamez d’or, et vos cheveux tressez
Seroient de filets d’or par ondes enlassez.
D’un crespe canelé seroit la couverture
De vostre chef divin, et la rare ouverture
D’un reth de soye et d’or, fait de l’ouvriere main
D’Arachne ou de Pallas, couvriroit vostre sein ;
Vostre bouche seroit de roses toute pleine,
Respandant par le temple une amoureuse haleine ;
Vous auriez d’une Hebé le maintien gracieux,
Et un essein d’Amours sortiroit de vos yeux ;
Vous tiendriez le haut bout de ce temple honorable,
Droicte sur le sommet d’un pilier venerable.
Et moy, d’autre costé, assis au plus bas lieu,
Je serois remarquable en la forme d’un dieu ;
J’aurois, en me courbant, dedans la main senestre
Un arc demy-vouté, tel que l’on voit renaistre
Aux premiers jours du mois le reply d’un croissant,
Et j’aurois sur la corde un beau traict menassant,
Non le serpent Python, mais ce sot de jeune homme
Qui maintenant sa vie et son ame vous nomme,
Et qui seul, me fraudant, est roy de vostre cœur,
Qu’en fin en vostre amour vous trouverez mocqueur.
Quiconque soit celuy, qu’en vivant il languisse,
Et de chacun hay luy-mesme se haysse ;
Qu’il se ronge le cœur, et voye ses dessains
Tousjours luy eschapper comme vent de ses mains,
Soupçonneux et réveur, arrogant, solitaire,
Et luy-mesme se puisse à luy-mesme desplaire.
J’aurois dessur le chef un rameau de laurier,
J’aurois dessur le flanc un beau poignard guerrier ;
La lame seroit d’or, et la belle poignée
Ressembleroit à l’or de ta tresse peignée ;
J’aurois un cistre d’or, et j’aurois tout auprès
Un carquois tout chargé de flammes et de traits.
Ce temple, frequenté de festes solennelles,
Passeroit en honneur celuy des immortelles,
Et par vœux nous serions invoquez tous les jours,
Comme les nouveaux dieux des fidelles amours.
D’âge en âge suivant, au retour de l’année
Nous aurions près le temple une feste ordonnée,
Non pour faire courir, comme les anciens,
Des chariots couplez aus jeux olympiens,
Pour saulter, pour lutter, ou de jambe venteuse
Franchir en haletant la carriere poudreuse ;
Mais tous les jouvenceaux des pays d’alentour,
Touchez au fond du cœur de la fleche d’Amour,
Aiant d’un gentil feu les ames allumees,
S’assembleroient au temple avecques leurs aimées ;
Et là celuy qui mieux sa lévre poseroit
Sur la lévre amoureuse, et qui mieux baiseroit,
Ou soit d’un baiser sec ou d’un baiser humide,
D’un baiser court ou long, ou d’un baiser qui guide
L’ame dessur la bouche, et laisse trespasser
Le baiseur, qui ne vit sinon que du penser,
Ou d’un baiser donné comme les colombelles,
Lors qu’elles font l’amour et du bec et des ailes ;
Celuy qui mieux seroit en tels baisers appris
Sur tous les jouvenceaux emporteroit le prix,
Seroit dit le vainqueur des baisers de Cythere,
Et tout chargé de fleurs s’en-iroit à sa mere.
[Aux pieds de mon autel, en ce temple nouveau,
Luiroit le feu veillant d’un eternel flambeau,
Et seroient ces combats nommez, apres ma vie,
Les jeux que fit Ronsard pour sa belle Marie.]
O ma belle maistresse ! hé ! que je voudrois bien
Qu’Amour nous eust conjoint d’un semblable lien,
Et qu’après nos trespas, dans nos fosses ombreuses,
Nous fussions la chanson des bouches amoureuses ;
Que ceux de Vendomois dissent tous d’un accord,
Visitant le tombeau sous qui je serois mort :
« Nostre Ronsard, quittant son Loir et sa Gastine,
A Bourgueil fut épris d’une belle Angevine »,
Et que ceux-là d’Anjou dissent tous d’une vois :
« Nostre belle Marie aimoit un Vendomois ;
Tous les deux n’estoient qu’un, et l’amour mutuelle,
Qu’on ne void plus icy, leur fut perpetuelle.
Leur siecle estoit vrayment un siecle bienheureux,
Où tousjours se voyoit contre-aimé l’amoureux ! »
Puisse arriver, apres l’espace d’un long âge,
Qu’un esprit vienne à bas, sous l’amoureux ombrage
Des myrtes, me conter que les âges n’ont peu
Effacer la clarté qui luist de nostre feu,
Mais que de voix en voix, de parole en parole,
Nostre gentille amour par la jeunesse vole,
Et qu’on apprend par cœur les vers et les chansons
Que j’ai tissus pour vous en diverses façons,
Et qu’on pense amoureux celuy qui rememore
Vostre nom et le mien et nos tombes honore !
Or les dieux en feront cela qu’il leur plaira ;
Si est-ce que ce livre après mille ans dira
Aux hommes et au temps, et à la Renommée,
Que je vous ay six ans plus que mon cœur aimée.
|
Marie, to the end that the age to come
May remember our youthful love,
And that your beauty which I have long loved
May not be lost in the tomb, consumed by years,
Without leaving some mark of you behind itself,
I consecrate here to you the liveliest part of me,
The spirit of my spirit, which will make you live again
For a long time or forever, as long as this book lasts.
Those who will read the verse I have sung for you
In a style which varies between bitter and sweet
In accord with the passions you’ve aroused in me,
Will consider you a goddess; and the more the years
Fly fleeting by, the more your beauty
In despite of age will grow old in its novelty.
O my fair lass of Anjou, o my sweet Marie,
My eyes, my heart, my blood, my spirit and my life,
Whose virtue shows me a path straight to heaven,
I get so much good from kissing your eyes,
When I linger over them, when I look at them,
That, if it were not for a fear which holds back my hand,
I would have killed myself from grief that I cannot
Show you in deed the good that I wish you.
Still, what I can do I want to do for you:
I want to perfect your praises as I sing of you,
And never to feel my work paralysed
So that my whole work for you should not be heard.
If I were a great king, as an eternal example
Of faithful love, I would build a temple
Upon the bank of the Loire, and this temple would be called
The temple of Ronsard and of his Marion.
Your effigy would be of Parian marble,
Your dress would be spread out with deep-carved
Folds embroidered with gold, your piled-up hair
Would be enlaced in waves with golden fillets.
With crisp cinnamon would be covered
Your divine head, and the rare openings
Of a net of silk and gold, made by the hardworking hand
Of Arachne or of Pallas, would cover your breast.
Your mouth would be filled with roses,
Breathing throughout the temple a lovely scent.
You would have the gracious bearing of a Hebe,
And a swarm of cupids would fly from your eyes,
You would hold up the high top of his honourable temple
Right on top of a venerable pillar.
And I, seated on the other side in a lower place
Would be prominent in the form of a god;
I would have curved in my left hand
A half-moon bow, such as you see reborn
In the first days of the month the curve of a crescent moon,
And I’d have on the bowstring a fine arrow menacing
Not the serpent Python but that foolish young man
Who now calls you his life and his soul
And who alone, cheating me, is king of your heart,
And who you’ll fond in the end is deceiving your love.
Whoever he is, may he fade away as he lives;
May he, hated by everyone, hate himself;
May he gnaw his heart, and see his designs
Always escape like wind from his hands;
Suspicious and arrogant dreamer, may he be lonely
And always displeasing to himself!
I’d have on my head a laurel branch,
I’d have at my side a fine warlike sabre,
The blade would be gold, and the fine hilt
Would resemble the gold of your combed hair:
I would have a golden lyre, and next to it I’d have
A quiver filled with flaming darts.
This temple, host of many a solemn feast,
Would surpass in glory that of the immortals,
And we would be invoked in vows every day
Like the new gods of faithful love.
From age to following age, at the return of the year,
We would have ordained a festival by the temple
Not for racing, like the ancients,
Coupled chariots in the Olympic games,
Or for jumping, wrestling, or with flying limbs
Negotiating the dusty race, panting;
Instead, all the young people from the surrounding countryside,
Struck deep in their hearts by the dart of Love,
Their souls warmed by its gentle fire,
Would assemble at the temple with their girlfriends;
And there, he who best placed his lips
Upon his beloved’s lips, and who kissed the best –
Whether with a dry or a wet kiss,
A long or a short kiss, with a kiss which leads
The soul onto the lips and leaves the kisser
Dying, who lives only on the memory,
Or with a kiss given like the doves
When they make love with beak and wings.
He who has learned to kiss the best
Would take the prizeabove all the other youths,
Would be called the winner of Cytherea’s kisses,
And covered in flowers would go home to his mother.
[At the feet of my altar in this new temple
Would burn the watch-fire of an eternal torch,
And these contests would be named after my life
The games which Ronsard made for his fair Marie.]
O my fair mistress, how wish
That Love had joined us with similar ties,
And that after our deaths, in our shadowy graves,
We might be the song of amorous lips:
That the people of the Vendôme might say with one accord,
Visiting the tomb under which I would be dead,
“Our Ronsard, leaving his Loir and Gastine,
Fell in love at Bourgueil with a fair lass of Anjou”;
And that those from Anjou might say with one voice,
“Our fair Marie loved a man from Vendôme,
The two were but one, and their mutual love
Which we no longer see here was for them everlasting;
Their age was truly a happy age,
In which the lover always found himself loved in return.”
May it happen that, after the space of a long age,
A spirit might come down below the loving shade
Of the myrtle, to tell me that the ages have not been able
To efface the brightness which shines from our fire;
But that from voice to voice, from speech to speech,
Our gentle love flies among the young people,
And that they learn by heart the verse and songs
Which I’ve created for you in varying forms,
And that they consider a lover is he who recalls
Your name and mine and honours our tombs.
Then the gods can do with it what they want,
Since this book a thousand years hence will tell
Men and their times, and Fame too,
That I have loved you more than my heart for six years.
|