Elégie sur le trespas de feu Monsieur de Ronsard
A monsieur des Portes Abbé de Thiron
Nature est aux humains sur tous autres cruelle,
On ne voit animaux
En la terre et au ciel, ny en l’onde infidele,
Qui souffrent tant de maux.
Le rayon eternel de l’essence divine,
Qu’en naissant nous avons,
De mille passions noz tristes jours épine
Tandis que nous vivons :
Et non pas seulement vivants il nous torture,
Mais nous blesse au trespas,
Car pour prevoir la mort, elle nous est plus dure
Qu’elle ne seroit pas.
Si tost que nostre esprit dans le cerveau raisonne,
Nous l’alons redoutant,
Et sans cette frayeur que la raison nous donne,
On ne la craindroit tant.
Nous creignons de mourir, de perdre la lumiere
Du Soleil radieus,
Nous creignons de passer sur les ais d’une biere
Le fleuve stygieus.
Nous creignons de laisser noz maisons delectables,
Noz biens et noz honneurs,
Ces belles dignitez, qui nous font venerables
Remarquer des seigneurs.
Les peuples des forests, de l’air et des rivieres,
Qui ne voyent si loing,
Tombent journellement aux mortelles pantieres
Sans se gesner de soing.
Leur vie est plus heureuse, et moins sujette aus peines,
Et encombres divers,
Que nous souffrons chetifs en noz ames humaines,
De desastres couverts.
Ores nous poind l’amour, Tyran de la jeunesse,
Ores l’avare faim
De l’or injurieus, qui fait que chacun laisse
La vertu pour le gain.
Cetuy-cy se tourmente apres les grandeurs vaines,
Enflé d’ambition,
De cetuy-la l’envie empoisonne les veines
Cruelle passion.
La haine, le courroux, le depit, la tristesse,
L’outrageuse rancœur,
Et la tendre pitié du foeble qu’on oppresse,
Nous bourellent le cœur.
Et voila nostre vie, ô miserables hommes !
Nous semblons estre nez
Pour estre, cependant qu’en ce monde nous sommes,
Tousjours infortunez.
Et enquore, où le ciel en une belle vie
Quelque vertus enclost,
La chagrineuse mort qui les hommes envye
Nous la pille aussi tost.
Ainsi le verd email d’une riante prée
Est soudain effacé,
Ainsi l’aymable teint d’une rose pourprée
Est aussi tost passé.
La jeunesse de l’an n’est de longue durée,
Mais l’Hyver aux dois gours,
Et l’Esté embruny de la torche etherée
Durent [orig : durant] presque toujours.
Mais las ! ô doux Printems, vostre verdeur fanie
Retourne en mesme point,
Mais quand nostre jeunesse une fois est finie
Elle ne revient point.
La vieillesse nous prend maladive et facheuse,
Hostesse de la mort,
Qui pleins de mal nous pousse en une tombe creuse
D’où jamais on ne sort.
Des Portes, que la Muse honore et favorise
Entre tous ceux qui ont
Suivy le saint Phebus, et sa science aprise
Dessur le double mont.
Vous voyez ce Ronsard, merveilles de nostre age,
L’honneur de l’Univers,
Paitre de sa chair morte, inevitable outrage,
Une source de vers.
De rien vostre Apollon, ny les Muses pucelles
Ne luy ont profité,
Bien qu’ils eussent pour luy les deux croppes jumelles
De Parnasse quitté :
Et qu’ils eust conduits aux accords de sa Lire
Dans ce François sejour,
Pour chanter de noz Roys, et leurs victoires dire,
Ou sonner de l’amour.
C’est grand cas, que ce Dieu, qui des enfance l’aime,
Afranchit du trespas
Ses divines chansons, et que le chantre mesme
N’en affranchisse pas.
Vous en serez ainsi : car bien que vostre gloire,
Espandue en tous lieux,
Ne descende estoufée en une tombe noire
Comme un peuple otieux,
Et que voz sacrez vers, qui de honte font taire
Les plus grands du metier,
Nous facent choir des mains, quand nous en cuidons faire,
La plume et le papier.
Si verres vous le fleuve où tout le monde arrive,
Et payrez le denier
Que prend pour nous passer jusques à l’autre rive
L’avare Nautonnier.
Que ne ressemblons nous aus vagueuses rivieres
Qui ne changent de cours ?
Ou au branle eternel des ondes marinieres
Qui reflotent toujours ?
Et n’est-ce pas pitié, que ces roches pointues,
Qui semblent depiter,
De vents, de flots, d’oraige, et de foudres batues,
L’ire de Jupiter,
Vivent incessament, incessament demeurent
Dans leurs membres pierreux,
Et que des hommes, tels que ce grand Ronsard, meurent
Par un sort rigoureux ?
O destin lamentable ! un homme qui approche
De la divinité
Est ravy de ce monde, et le front d’une roche
Dure un eternité.
Qui pourra desormais d’une alaine assez forte
Entonner comme il faut
La gloir de mon Roy, puisque la muse est morte
Qui le chantoit si haut ?
Qui dira ses combats ? ses batailles sanglantes ?
Quand jeune, Duc d’Anjou,
De sa main foudroya les troupes protestantes
Aux plaines de Poictou ?
Des portes qui sera-ce ? une fois vostre Muse,
Digne d’estre en son lieu,
Fuyant l’honneur profane aujourdhuy ne s’amuse
Qu’au loüanges de Dieu.
Et qui sera-ce donc ? quelle voix suffisante,
Pour sonner gravement
Joyeuse nostre Achil, dont la gloire naissante
S’acroist journellement ?
Qui dira son courage, indomtable à la peine,
Indomtable à la peur,
Et comme il appareille avec une ame humaine
Un magnanime cœur ?
Comme il est de l’honneur, du seul honneur avare,
D’autres biens liberal,
Cherissant un chacun, fors celuy qui s’egare
Du service royal ?
Ne permette Clion et Phebus ne permette
Que Ronsard abattu
Par l’ennuyeuse mort, ne se treuve Poëte
Qui chante sa vertu.
Adieu, mon cher Ronsard, l’abeille en vostre tombe
Face tousjour son miel,
Que le baume Arabic à tout jamais y tombe,
Et la manne du ciel.
Le Laurier y verdisse avec le lierre
Et le Mirthe amoureus,
Riche en mille boutons, de toutes parts l’enserre
Le Rosier odoreus :
Le tin, le baselic, la franche Marguerite,
Et nostre Lis François,
Et cette rouge fleur, où la pleinte est escrite
Du malcontent Gregeois.
Les Nymphes de Gâtine, et les Nayades sainctes,
Qui habitent le Loir,
Le venant arroser de larmettes epreintes,
Ne cessent de douloir.
Las ! Cloton a tranché le fil de vostre vie
D’une piteuse main,
La voyant de vieillesse et de goutes suyvie,
Torturage inhumain.
Voyant la povre France en son corps outragee
Par le sanglant effort
De ses enfans, qui l’ont tant de foys ravagee,
Soupirer à la mort :
Le Souysse aguerry, qui aus combats se loüe,
L’Anglois fermé de flots,
Ceux qui boivent le Pau, le Tage et la Danoüe,
Fondre dessus son dos.
Ainsi que le Vautour, qui de griffes bourelles
Va sans fin tirassant
De Promethé le foye, en patures nouvelles
Coup sur coup renaissant.
Les meurtres inhumains se font entre les freres,
Spectacle plein d’horreur,
Et deja les enfans courent contre leurs peres
D’une aveugle fureur :
Le cœur des Citoyens se remplit de furies,
Les Paysans ecartez
Meurent comme une haye : on ne voit que turies
Par les chams desertez.
Et puis alez chanter l’honneur de nostre France
En siecles si maudits,
Attendez-vous qu’aucun vos labeurs recompense
Comme on faisait jadis ?
La triste povreté noz chansons accompaigne,
La Muse, les yeus bas,
Se retire de nous, voyant que lon dedaigne
Ses antiques ebats.
Vous estes donque heureus, et vostre mort heureuse,
O Cigne des François,
Ne lamentez que nous, dont la vie ennuyeuse
Meurt le jour mile fois.
Vous errez maintenant aux campaignes d’Elise,
A l’ombre des Vergers,
Où chargent en tout tems, asseurez de la Bise,
Les jaunes Orengers :
Où les prez sont toujours tapissez de verdure,
Les vignes de raisins,
Et les petits oyseaus, gasoüillans au murmure
Des ruisseaus cristalins.
Là le Cedre gommeus odoreusement sue,
Et l’arbre du Liban,
Et l’Ambre, et Myrrhe, au lit de son Pere receüe,
Pleure le long de l’an.
En grand’ foule acourus, autour de vous se pressent
Les heros anciens,
Qui boyvent le nectar, d’ambrosie se paissent,
Aux bords Elisiens :
Sur tous le grand Eumolpe, et le divin Orphee,
Et Line, et Amphion,
Et Musee, et celuy, dont la plume eschauffee
Mist en cendre Ilion.
Le loüengeur Thebain, le chantre de Mantoüe,
Le Lyrique latin,
Et aveques Seneque, honneur grand de Cordoüe,
L’amoureus Florentin :
Tous vont battant des mains, sautellent de liesse,
S’entredisant entre eux,
Voyla celuy, qui donte et l’Itale et la Grece
En poëmes nombreus :
L’un vous donne sa lyre, et l’au[t]re sa trompette,
L’autre vous veut donner
Son Myrthe, son Lierre, ou son Laurier profette,
Pour vous en couronner.
Ainsi vivez heureuse, ame toute divine,
Tandis que le destin
Nous reserve aus malheurs de la France, voysine
De sa derniere fin.
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Elegy on the death of the late M.de Ronsard
To M. Desportes, abbot of Thiron
Nature is to men above all others cruel,
We do not see animals
On earth or in the skies, or in the treacherous seas,
Suffering so many ills.
The eternal ray of the divine essence
Which we receive at birth
With a hundred passions troubles our sad days
While we live.
And not only while we live does it torture us,
But injures us at our death,
For foreseeing death is to us harder
Than the event itself will be.
As soon as our spirit reasons within our brains,
We begin to fear it,
And without this terror which reason gives us
We would not be so frightened of it.
We are frightened of dying, of losing the light
Of the radiant Sun,
We are frightened of crossing, on the planks of a bier,
The Stygian river;
We are frightened of leaving our delightful homes,
Our goods and our honours,
Those fine dignities which make us respected
And noticed by lords.
The inhabitants of the forests, the air and the rivers
Who do not see so far,
Fall daily to death-dealing snares
Without troubling themselves with worries.
Their life is happier, and less subject to the troubles
And various burdens
Which we weakly suffer in our human souls,
Overcome by disasters.
Sometimes love afflicts us, that tyrant of our youth,
Sometimes the greedy hunger
For harmful gold, which makes everyone abandon
Virtue for gain.
This man torments himself seeking empty greatness,
Puffed up with ambition,
That man’s veins are poisoned by envy,
That cruel passion.
Hatred, anger, spite, sorrow,
Hurtful bitterness,
And tender pity for the weak who are oppressed
Bubble away in our hearts.
And that’s our life, o wretched men!
We seem to be born
To be, while we are in this world,
Always unfortunate.
And even when heaven includes
Some happiness in a good life,
Sorrowful death which envies men
Steals it from us soon enough.
Just so the fresh mosaic of a gay meadow
Is suddenly wiped away,
Just so the lovely tint of a crimson rose
Is soon enough past.
The year’s youth does not last long,
But Winter with his stiff fingers
And Summer scorched by the heavenly flame
Last almost forever.
Alas, sweet Spring, your faded freshness
Returns to the same state [each year]
But when once our youth is finished
It does not return.
Old age takes us, sickly and disagreeable,
Death’s hostess,
And, full of ills, pushes us into a dug grave
From which none ever escapes.
Desportes, whom the Muse honours and favours
Among all those of us who have
Followed holy Apollo and learned his wisdom
Upon the double mount:
You see this Ronsard, the marvel of our age,
The glory of the world,
Feeding with his dead flesh – an inescapable indignity –
A stream of worms.
Nothing have your Apollo and his maiden Muses
Profited him,
Although for him they abandoned
The twin mounts of Parnassus,
And although they have spent time, to the harmonies of his lyre,
In this France of ours,
To sing of our Kings and announce their victories,
Or to celebrate love.
It’s very clear that the god who loved him from infancy
Excepted from death
His divine songs, and yet could not except from it
The singer himself.
It will be the same for you: for although your glory,
Spreading to every place,
Will not descend, smothered, into a dark tomb
Like unproductive folk’s,
And though your sacred verse, which for shame makes
The greatest in the business fall silent,
Makes the pen and paper fall from our hands,
When we wish to use them:
Yet still you will see the river where every man arrives,
And you will pay the penny
Which the greedy Boatman takes
That we may pass to the other side.
Why are we not like the rippling waters
Which don’t change their course?
Or the eternal movement of the sea’s waves
Which break and break again?
Isn’t it a pity that those sharp rocks
Which seem to despise
The winds, the tides, storms and battering of lightning,
The anger of Jupiter,
Live on eternally, remain eternally
In their stony forms,
And that men like the great Ronsard die
By harsh fate?
O grievous destiny! A man who approaches
The divine
Is stolen from this world, and a rock-face
Lasts an eternity.
Who will be able henceforth with so strong a voice
To thunder as they should
Of my King’s glory, since the muse is dead
Who sang it so loudly?
Who shall sing of his combats? Of his bloody battles?
Who when young, as the Duke of Anjou,
Overthrew with his might the protestant troops
On the plains of Poitou …
Deportes, who will it be? Once, perhaps, your muse
Was worthy to be in his place;
But fleeing worldly honours today she employs herself
Only in the praise of God.
So who will it be? What voice sufficient
To celebrate gravely
Our joyous Achilles, whose budding glory
Grows daily?
Who shall speak of his courage, unconquered by strife,
Unconquered by fear,
And how it equipped with a human soul
A magnanimous heart?
How it is hungry for honour, for honour alone,
Liberal with other good things,
Cherishes everyone, even those who fall away
From the king’s service?
Do not permit, Clio, and Apollo do not permit
That Ronsard, defeated
By grievous death, should not find a Poet
To sing of his worth.
Farewell, my dear Ronsard, may the bees always
Make their honey on your tomb,
May balm from Arabia forever fall there
With manna from heaven.
May the laurel flourish there, along with ivy
And lovers’ myrtle,
Rich with a thousand buds, and on all sides may
The perfumed rose-bush embrace it,
And thyme, basil, the simple daisy,
Our lily of France,
And that red flower on which is written the plaint
Of the unhappy Greek.
May the nymphs of Gastine and the holy water-nymphs
Who live in the Loir
Having just poured out and expressed their tears for you
Not cease from grieving.
Alas! Clotho has cut the thread of your life
With her pitying hand,
Seeing it accompanied by old age and gout,
Those inhuman tortures,
And seeing our poor France, wounded in her body
By the bloody struggles
Of her children, who have so many times ravaged her,
Sighing for death;
And Switzerland at war, giving itself over to strife,
England enclosed by the seas,
And those who drink from the Po, Tagus and Danube
Drowning beneath their waters;
Just like the vulture, which with its executioner’s claws
Endlessly rakes
The liver of Prometheus, in new pastures
Renewing blow on blow,
Inhuman murders take place between brothers,
A horrific sight,
And now children rush upon their fathers
In blind madness;
The hearts of city-dwellers are filled with Furies,
The country-folk, swept aside,
Die in their rows; we see nothing but killings
Throughout the deserted countryside.
And yet you go on singing of the honour of our France
In times so accursed:
Do you expect anyone to reward your labours
As they did in the past?
Wretched poverty accompanies our songs;
The Muse, her eyes lowered,
Leaves us, seeing that we disdain
Her former amusements.
So, you are fortunate, and your death fortunate,
O Swan of the French,
Lament only for us, whose troubled lives
Die a thousand times every day.
You now wander in the fields of Elysium,
In the shade of the orchards
Where at all times, secure from cold northerly winds,
The tawny orange-trees are laden;
Where the meadows are always carpeted in green,
The vines with grapes,
And the little birds go chattering to the murmur
Of crystalline streams.
There the cedar sweats its perfumed gum,
And the tree of Lebanon
Weeps both amber and myrrh, received at its father’s bed,
All year long.
Running up in a great crowd, around you press
The ancient heroes
Who drink nectar and feed on ambrosia
On the banks of Elysium,
Above all great Eumolpe and godlike Orpheus
And Linus and Amphion
And Musaeus, and he whose burning pen
Set fire to Troy;
The Theban praise-singer, the poet of Mantua,
The Latin lyricist
And, with Seneca the great glory of Cordoba,
The Florentine love-poet,
All of them clapping their hands, leaping with joy,
Saying to one another,
“There he is, the man who surpassed Italy and Greece
In many a poem”.
One of them gives you his lyre, another his trumpet,
Another tries to give you
His myrtle, his ivy, or his prophetic laurel
To crown you with them.
So, live on happily, godlike soul,
While fate keeps us back
For the misfortunes of France, close
To her final end.
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